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« Aurélie Gandit fait danser nos regards » de Gérard Mayen

La jeune chorégraphe Aurélie Gandit entame une résidence de deux années à l’Arsenal, au moment où elle suscite un vif mouvement de curiosité

Milieu des années 2000. Le parcours d’Aurélie Gandit passe déjà par l’Arsenal. Cette toute jeune fille, droit sortie d’une formation en danse classique au Conservatoire de Nancy, y fréquente un stage des chorégraphes Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, alors en résidence. Elle bascule. Sous l’impact, Aurélie verse dans l’expression contemporaine, opte pour une danse à inventer, connectée au monde d’aujourd’hui.

Il n’empêche. Le regard de cette artiste en devenir continue obstinément de se nourrir dans le passé. Aurélie Gandit poursuit en parallèle des études de haut niveau en Histoire de l’Art. C’est d’ailleurs par ce biais qu’un large public régional apprend d’abord à la connaître. Elle invite à des visites dansées de galeries de musées (plus de quarante proposées depuis 2007).

De quoi s’agit-il ? Il faut s’y attarder. Cela est au cœur de son art. Aurélie Gandit aime citer le peintre russe Kasimir Malevitch, lorsque celui-ci écrit, en 1915 : « Le peintre doit savoir à présent ce qui se passe dans ses tableaux et pourquoi ». Il faut relire cette expression : « Il se passe quelque chose » dans un tableau. Un tableau est un espace, témoignant de la saisie d’un temps donné (tout comme une pièce de danse pose et fait vivre un espace-temps). On croit parfois le tableau arrêté, puis transporté vers un autre temps, celui où nous l’admirons. Tiens donc : voilà déjà un premier transport dans le temps. Mais avant même qu’il fût terminé sur la toile, qu’est-ce qui s’est passé, a convergé en lui, pour l’animer et le remplir de la vie qui l’habite encore sous nos yeux ?

Oui décidément, dans un tableau se rencontrent beaucoup de choses qui l’ont précédé puis ont continué d’agir par-delà sa mise en forme. Et il s’en passe toujours énormément, entre ce tableau et notre regard vivant qui l’observe. A sa compagnie de danse, Aurélie Gandit a donné le nom de La Brèche. Elle conçoit que son travail de chorégraphe consiste à ouvrir des brèches entre le savoir et le sensible, entre la forme, ses sources et ses effets, entre le cadre et le mouvement de vie, l’acquis et l’invention, l’interprétation du monde par l’artiste et son interprétation par son spectateur.

Curieusement, malicieusement, c’est en effectuant un pas de côté qu’Aurélie Gandit vient de soulever la curiosité des programmateurs et de la critique bien au-delà des limites régionales. Pour sa pièce La variété française est un monstre gluant, elle est sortie des doctes musées, pour se pencher sérieusement sur le cas des Sardou, Fugain et autre Claude François. Elle leur apporte la lumineuse clarté de son geste qui lit, dissèque, écoute. Elle a fouillé les significations, mis en miroir les attendus, révélé les attitudes – nos attitudes.

En découle pour elle un bonheur – et pour nous comment donc – de danse incisive, fraîche en esprit, vivant d’un regard alerte sur le monde et ses formes, comme source de son mouvement même.

Gérard MAYEN, critique de danse.